N° 8 Mai 1997

 

L’EUROPE:

Nous l'avons sous les yeux, chaque jour.

 

Prenons garde de ne pas identifier l'Europe aux seuls organismes de Bruxelles. Ce serait faire fausse route et tromper les jeunes dont nous avons la charge.

 

L'Europe ne sera pas une idée abstraite si nous prenons conscience qu'elle sera ce qu'en feront les Européens. Or, les Européens, nous les avons, chaque jour, sous les yeux dans nos classes. Ce sont les jeunes que nous enseignons aujourd'hui qui constitueront l'Europe de demain.

 

Quel souci portons-nous à leur égard pour les inciter à s'approprier peu à peu cette entité humaine à laquelle ils participeront... ou qu'ils subiront, selon que nous les aurons aidés ou non à en faire, pour eux, une réalité concrète.

 

Prenons garde de ne pas communiquer notre tentation de repli à des jeunes qui n'attendent souvent que des propositions d'ouverture et qui sont prêts au dépassement.

 

Difficultés et richesses partagées leur permettront d'inventer la Renaissance dont a besoin notre vieux continent, qui en a vu d'autres et qui a toujours trouvé des femmes et des hommes pour faire face et pour avancer. Ouvrons les portes de nos établissements. Que l'autre prenne un visage, devienne une histoire commune avec un avenir à construire ensemble.

 

Les éducateurs de cette fin de siècle feront donc que l'Europe sera aussi une réunion de personnes, ou bien ils laisseront les financiers, les fonctionnaires et les politiques, aussi nécessaires qu'ils soient, construire seuls une entité abstraite.

 

C'est un enjeu éducatif important que l'UCAPE, pour sa part, contribue à mettre en oeuvre en donnant aux établissements l'opportunité d'échanger leurs expériences. Les adhérents de l'UCAPE sont persuadés de cette évidence, mais puissent-ils être assez convaincants pour que d'autres établissements osent se lancer dans cette voie, sachant qu'ils auront dans notre association un soutien qui entretiendra leurs initiatives. Plus nombreux nous serons, plus nombreux seront les jeunes Européens plus lucides.

 

Bonnes vacances, en attendant de nous retrouver à Charleroi.

 

André Pignol


COMENIUS (1592-1670)

 

Il peut être étonnant de parler d'un penseur et pédagogue tchèque du 17e siècle, alors que notre siècle finissant nous pose déjà maintes questions auxquelles nous avons bien du mal à répondre. Ce retour n'a pas pour propos de faire assaut d'érudition mais plutôt d'aller à la découverte d'une pensée qui nous semble encore d'une grande actualité. Ce n'est sans doute pas par hasard que ce nom a été choisi pour désigner un programme européen. Que nous propose donc Comenius ?

 

Penseur en de sombres temps

Jan Amos KONOENSKY, dont le nom fut latinisé en COMENIUS, a vécu une époque dramatique : la guerre de Trente Ans et les conflits religieux. Ainsi, on peut donc mieux comprendre pourquoi cette pensée nous interpelle : notre temps non plus n'est pas épargné par la guerre et l'intolérance.

Comenius est considéré comme le fondateur de la pédagogie moderne. Il a eu une carrière de prédicateur et d'enseignant. Ses premiers ouvrages sont une critique sociale (Lettre au ciel, le Labyrinthe du monde, le Paradis du cœur), il élabore aussi un projet de système scolaire démocratique (La Didactique tchèque). Suite aux persécutions religieuses, il est obligé de s'exiler en Pologne, puis il parcourt toute l'Europe (Angleterre, Suède, Hongrie) pour se fixer, à la fin de sa vie, en Hollande.

 

Penseur de la modernité

Comenius, dans le Labyrinthe du monde, met en scène un pèlerin à qui il adjoint deux personnages: le JE SAIS TOUT PASSE PARTOUT et ILLUSION. Le premier relève de la vaine curiosité, le second ne se soumet qu'au qu'en dira-t-on et à l'opinion.

Ces deux compagnons veulent détourner de sa tâche le pèlerin en recherche de vérité. Ils s’égarent dans l'affairement, « ils veulent l'empêtrer dans le monde ». Mais le pèlerin va ouvrir les yeux en rejetant la vanité et le mondain, il ouvre son âme au mystère. Ainsi, déjà, Comenius proposait une conversion spirituelle pour affronter les questions de son époque.

Sa pédagogie veut amener l'homme à considérer que sa tâche est « de se dépenser, de se dépasser et de se donner ». Son oeuvre peut nous aider à penser le rapport au savoir « qui ne sera pas une théorie faisant de l'homme le sujet autonome de la domination, de l'accaparement et de l'exploitation du monde, mais bien un enseignement qui l'ouvrira à la possibilité de se dévouer et de se dépenser dans une activité de sollicitude et de sauvegarde » (J. Patôcka).

Il serait intéressant de proposer à nos grands élèves de faire découvrir cette figure européenne, précurseur d'un humanisme ouvert, qui annonce la nécessité d'une âme ouverte pour être dans le monde.

Bibliographie en langue française:

La Grande Didactique, Klincsieck, Paris 1992
Le Labyrinthe du monde et le Paradis du coeur, Desclée, 1992
Comenius, par O. Cauly, FELIN, 1995